L'ancien Tribunal de Pontivy, renaissance d'un joyau néoclassique

L'ancien Tribunal de Pontivy, renaissance d'un joyau néoclassique

Publié le 23 avril 2025

Le temple de justice devenu carrefour citoyen

Ils s'étaient jurés de ne jamais y remettre les pieds. Combien de Pontivyens avaient franchi ces colonnes néoclassiques, le cœur battant, pour affronter la justice des hommes ? Combien avaient gravi cet escalier monumental pour entendre leur sort se décider dans l'ancienne salle d'audience aux boiseries austères ? Et pourtant, aujourd'hui, ils y reviennent. Volontairement. Le sourire aux lèvres. Car l'ancien Tribunal de Pontivy, bâtiment emblématique de la ville napoléonienne, a troqué sa solennité judiciaire contre une hospitalité citoyenne qui fait déjà référence dans toute la Bretagne.

Édifié entre 1807 et 1837, ce monument à l'architecture antique, avec son fronton triangulaire et ses colonnes majestueuses, a fermé ses portes en 2017 après 150 ans d'activité judiciaire. Le voilà aujourd'hui métamorphosé, réinventé, mais toujours reconnaissable. Un projet exemplaire qui témoigne qu'en matière de rénovation patrimoniale, l'intelligence collective peut déplacer des montagnes ou plutôt, en l'occurrence, préserver des pierres centenaires tout en les propulsant dans notre siècle.

La pierre et le chanvre : un mariage de raison

"Le plus grand défi était invisible à l'œil nu", confie Vincent Le Garrec, architecte chez NOMADE Architectes, maître d'œuvre du projet. "Comment transformer un bâtiment conçu pour être fermé, intimidant même, en un espace ouvert et accueillant, tout en respectant son ADN architectural ? Comment le rendre énergétiquement performant sans toucher à ses façades protégées ?"

Le parti pris architectural a consisté à embrasser cette apparente contradiction. Conserver l'âme du lieu tout en lui insufflant une nouvelle vie. Respecter l'histoire tout en écrivant un nouveau chapitre. Une approche qui s'est traduite par une restauration respectueuse des extérieurs, garantissant la pérennité des ouvrages mais aussi une meilleure interaction avec l'espace urbain.

À l'intérieur, le défi était double : préserver le caractère patrimonial tout en atteignant des performances énergétiques dignes du XXIe siècle. Impossible d'isoler par l'extérieur ce bâtiment protégé ? Qu'à cela ne tienne. L'équipe a opté pour une isolation intérieure utilisant des matériaux biosourcés, une prouesse technique qui a nécessité des études hygrothermiques poussées. Les murs en pierre massive, épais de 50 cm à 1 mètre, ont été doublés d'une isolation en chanvre-lin-coton, complétée dans certains espaces par un enduit chaux-diathonite aux billes de liège.

Ce choix n'était pas qu'esthétique ou patrimonial, mais scientifiquement calculé. "La réalisation confirme qu'une rénovation performante est possible même sans pouvoir intervenir par l'extérieur", explique Brice Guenégo de WIGWAM, assistant à maîtrise d'ouvrage spécialisé en économie circulaire et performance hygrothermique. "Nos études ont montré que ce complexe isolant biosourcé et perspirable était parfaitement adapté à ce bâti ancien, naturellement sujet aux variations d'humidité."

Résultat ? Une consommation énergétique de seulement 93 kWhep/m²/an (méthode THCE-EX), soit 50% de moins qu'un bâtiment neuf conforme à la RE2025. Une performance d'autant plus remarquable que le bâtiment se classe désormais en catégorie B, une rareté pour ce type d'édifice historique. L'étanchéité à l'air a été poussée à 1,70 m³/h.m² sous 4 Pa, niveau équivalent aux exigences des bâtiments tertiaires neufs.

L'économie circulaire comme philosophie

Mais l'exemplarité du projet ne s'arrête pas à ses performances énergétiques. Dès 2020, bien avant que la loi AGEC (Anti-Gaspillage pour une Économie Circulaire) ne l'impose, la Région Bretagne a choisi d'intégrer une démarche d'économie circulaire complète. Le bâtiment a été intégralement inventorié pour identifier tous les éléments potentiellement réemployables.

"C'est le premier bâtiment patrimonial en Bretagne qui a bénéficié d'un inventaire aussi exhaustif dans une optique de réemploi", souligne Olivier Quero, représentant de la Région Bretagne, maître d'ouvrage du projet. "Notre objectif était d'être exemplaire, de montrer qu'un bâtiment du XIXe siècle pouvait devenir un modèle de durabilité pour le XXIe."

La démarche a impliqué de nombreux acteurs locaux : les apprentis du centre de formation pour adultes du lycée du Gros Chêne pour les jardins, l'association Économie Circulaire 56 et le lycée professionnel du Blavet pour la valorisation des matériaux. Les pierres extraites du chantier ont même trouvé une seconde vie dans les travaux de rénovation du canal de Nantes à Brest.

Guillaume Surget, architecte du patrimoine chez ANTAK, ne cache pas sa satisfaction : "Nous avons conservé au maximum les éléments d'origine : le hall d'entrée et son escalier monumental, les boiseries et les corniches de l'ancienne salle d'audience, du mobilier et des ornements anciens comme les armoires, les portes, les ferronneries... Chaque élément sauvegardé raconte une partie de l'histoire du bâtiment."

80% des composants étaient initialement réemployables. Ce chiffre a malheureusement été revu à la baisse suite à un diagnostic amiante réalisé en cours de projet, qui a révélé que certains éléments avaient été contaminés par des traces d'amiante provenant d'enduits de bouchage. Un rappel que même les projets les plus vertueux doivent composer avec les réalités techniques et sanitaires.

Les matériaux non réutilisés sur place n'ont pas pour autant été perdus. Une vente éphémère a été organisée, et une ressourcerie temporaire installée au lycée Gros-Chêne, sensibilisant professionnels, artisans et particuliers au réemploi des matériaux de construction.

Un programme hybride, reflet de nouvelles aspirations

La programmation du bâtiment reflète une vision moderne de l'espace public. L'ancien tribunal est désormais divisé en trois unités fonctionnelles complémentaires : des bureaux accueillant 15 postes de travail et une antenne locale de la Région Bretagne ouverte au public, un espace de petite restauration avec salon de thé, et des salles de réunion dont une dédiée à l'événementiel.

Cette hybridation des usages, entre espace institutionnel et lieu de vie quotidienne, marque une évolution significative dans notre rapport au patrimoine public. "On n'est pas très loin d'une approche Tiers-Lieux", analyse Stéphanie Eymond du Bruit des Cailloux, paysagiste du projet, "même si ce terme n'est pas explicitement revendiqué."

Le jardin de 3 300 m² qui entoure l'édifice n'a pas été oublié. Réaménagé en deux espaces distincts, l'un à la française et l'autre à l'anglaise, il offre aux Pontivyens un écrin de verdure ouvert à tous, encadré par ses grilles en fer forgé d'origine. Un lieu de détente et de culture qui participe pleinement à la réappropriation citoyenne de ce patrimoine.

"Ce rapprochement entre un bâtiment à la base institutionnel et plutôt fermé au public et un endroit semi-ouvert avec ses jardins, son café et sa boutique, symbolise parfaitement notre vision", résume Antoine Caubert d'Acoustibel, responsable de l'acoustique du projet. "Ce sont vraiment les habitants de Pontivy qui peuvent se réapproprier leur patrimoine."

Un modèle de durabilité plurielle

La réhabilitation de l'ancien Tribunal de Pontivy ne se contente pas d'être exemplaire sur le plan environnemental. Elle incarne une approche holistique de la durabilité, conjuguant préservation patrimoniale, innovation technique, inclusion sociale et dynamisme économique local.

Sur le plan technique, les murs en pierre massive, réisolés avec une solution bio et géosourcée perspirante, constituent un atout majeur face aux défis climatiques à venir. Ce bâtiment de 1837 s'avère remarquablement adapté pour résister aux montées de température et gérer l'humidité, démontrant que nos ancêtres avaient quelques leçons à nous donner en matière de résilience.

Lauréat du concours Green Solutions Awards 2024-2025 dans la catégorie "Prix du public", ce projet témoigne qu'une autre approche de la rénovation est possible. Une approche qui ne sacrifie ni le patrimoine à la performance, ni la performance au patrimoine, mais qui cherche au contraire à les réconcilier dans une symbiose respectueuse.

L'ancien Tribunal de Pontivy, jadis lieu de jugement, est devenu un lieu de partage et d'échange. Sa transformation incarne, pierre après pierre, boiserie après boiserie, cette évidence trop souvent oubliée : nos plus beaux bâtiments anciens ne sont pas condamnés à être de simples musées ou des gouffres énergétiques. Ils peuvent, moyennant intelligence collective et innovation respectueuse, retrouver une place centrale dans la vie de la cité.

Et c'est peut-être là la plus belle des justices rendues à ce monument : lui avoir permis, après 150 ans à juger les hommes, de se mettre enfin à leur service.

Regard en images sur le projet

Gallery
©Nomade architectes ©Takuji Shimmura
Gallery
©Nomade architectes ©Takuji Shimmura
Gallery
©Nomade architectes ©Takuji Shimmura
Gallery
©Nomade architectes ©Takuji Shimmura
Gallery
©Nomade architectes ©Takuji Shimmura
Gallery
©Nomade architectes ©Takuji Shimmura
Gallery
©Nomade architectes ©Takuji Shimmura
Gallery
©Nomade architectes ©Takuji Shimmura
Gallery
©Nomade architectes ©Takuji Shimmura
Gallery
©Nomade architectes ©Takuji Shimmura
Gallery
©Nomade architectes ©Takuji Shimmura
Gallery
Gallery
Gallery
Gallery
Gallery
Gallery
Gallery
Gallery
Gallery
Gallery
Gallery
Crédits photos : ©Nomade architectes ©Takuji Shimmura

Contactez ces experts pour vos projets